Le passeport immunitaire peut triompher de la pandémie

Publié le 9 janvier 2021 à 16:41

 

Une analyse de Sam Rainsy

Depuis mars dernier j'ai écrit une série d'articles dans Gavroche et d'autres revues internationales pour préconiser la création d'un passeport immunitaire (1). Le point clé de ma proposition est qu'il faut identifier les personnes guéries du COVID-19 pour les laisser reprendre leurs activités habituelles sans danger pour la société, sachant que les anciens malades auront développé une immunité qui empêchera toute nouvelle contamination pour un temps plus ou moins long. Encore mieux, une personne guérie a cessé d'être contaminante et ne pourra que contribuer à briser la chaîne des contaminations.

Il y a neuf ou dix mois, on n'était pas encore sûr que l'immunité acquise par les anciens malades serait durable étant donné le caractère très récent du COVID-19. L'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) avait alors déconseillé la création d'un passeport immunitaire en avril dernier (2). Mais la situation a fondamentalement changé depuis.

Immunité durable

D'après les statistiques de l'OMS elle-même, on a recensé depuis le début de la pandémie plus de 88 millions de personnes contaminées et plus de 63 millions de personnes guéries (3).

Sur ces 63 millions de personnes guéries, il n'y a eu qu'un nombre négligeable de cas de re-contamination ou rechute (4), ce qui indique un taux d'immunisation naturelle de pratiquement 100% sur les 12 derniers mois, à comparer avec un taux d'efficacité de 95% au maximum pour les vaccins récemment approuvés après des tests effectués sur les trois à six derniers mois.

Les anciens malades ont donc acquis une immunité au moins équivalente à celle conférée par les nouveaux vaccins.

Le nombre des personnes guéries augmente pratiquement aussi vite que celui des personnes contaminées car le COVID-19 est une maladie qui dure généralement deux à trois semaines et 98 % des personnes contaminées par le coronavirus se rétablissent sans trop de problèmes. Le nombre des contaminés et celui des guéris se suivent donc étroitement avec seulement un décalage de quelques semaines. 

En fait, le nombre réel des guéris dans le monde est sensiblement plus élevé que dans les statistiques officielles car beaucoup (jusqu'à 70%) des contaminés ne ressentent que très peu de symptômes ou aucun symptôme du tout (malades asymptomatiques) pendant leur contamination: ils ont, de cette manière, développé une réelle immunité sans le savoir. 

Avant même toute vaccination la proportion de la population ayant développé cette immunité spontanée pourrait approcher 20% dans les pays occidentaux les plus touchés par la pandémie. Seuls des tests sérologiques conduits sur des échantillons représentatifs de la population pourraient mesurer avec précision ce début d'immunité collective. 

Immunité naturelle plus rassurante

Par rapport à l'immunité obtenue par vaccination avec un vaccin à ARN messager comme ceux de Pfizer/BioNTech et de Moderna, l'immunité acquise naturellement par les anciens malades est plus complète et plus rassurante car elle offre l'assurance d'un arrêt de la contagiosité, d'une absence d'effets secondaires indésirables et d'une double immunité recouvrant aussi bien l'immunité humorale (production d'anticorps) que l'immunité cellulaire (entrée en action des lymphocytes T ou cellules tueuses). De nombreuses études restent à mener pour bien mesurer tous les effets des nouveaux vaccins. 

Il est inutile de vacciner les anciens malades

La conclusion s'impose d'elle-même: il est inutile de vacciner les anciens malades.

Cette conclusion est d'une importance capitale à un moment où les quantités de vaccins disponibles restent très en-deçà des besoins, obligeant à un rationnement pendant de longs mois voire des années pour les pays pauvres, alors qu'une véritable course contre la montre est engagée pour vacciner le maximum de personnes en un minimum de temps.

Après avoir reconnu ce fait que les anciens malades ont déjà développé une immunité identique -- sinon supérieure -- à celle qui est recherchée par la vaccination, il y a lieu d'identifier et de recenser ces anciens malades auxquels il faut attribuer un statut spécial. Ce statut doit être pratiquement identique à celui des personnes vaccinées puisque les deux groupes (anciens malades et personnes vaccinées) peuvent se prévaloir de la même immunité contre le COVID-19. 

Hongrie, Islande et Israël

Trois pays viennent de prendre une décision en ce sens en décembre 2020 et janvier 2021: la Hongrie, l'Islande et Israël. Ces trois pays ont créé un passeport immunitaire (appelé "passeport vert" en Israël) pour les personnes vaccinées et les anciens malades maintenant guéris (5).

La guérison peut être confirmée soit par un test sérologique positif montrant la présence d'anticorps (notamment les IgG), soit par deux tests virologiques consécutifs: le premier positif attestant d'une contamination par le coronavirus, le deuxième négatif attestant de la guérison. Ces protocoles peuvent être renforcés et affinés comme je l'ai suggéré dans The Brussels Times (6). 

Le cas de la France

S'il y a un pays dont les autorités sanitaires ont le plus tergiversé avant de prendre les mesures qui s'imposent dans la lutte contre la pandémie du COVID-19, c'est bien la France. Cela a été observé d'abord pour les masques, puis pour les tests (virologiques et sérologiques), et maintenant pour les vaccins.

Certaines erreurs à une étape donnée se cumulent et pèsent sur la gestion des étapes suivantes. Ainsi, la disponibilité insuffisante des tests virologiques PCR à un moment crucial n'a pas permis de respecter les protocoles convenus pour identifier et recenser convenablement les personnes guéries du COVID-19 dont le nombre en France est sous-évalué plus nettement que dans aucun autre pays occidental (7). Au 8 janvier 2021 à 16 heures, ce nombre est de 198,756 pour la France (67 millions d'habitants) contre 1,494,100 pour l'Allemagne (83 millions), 1,572,015 pour l'Italie (60 millions), 1,364,821 pour le Royaume-Uni (66 millions), 317,600 pour la Suisse (8,6 millions) et 13,147,747 pour les États-Unis (330 millions).

La sous-évaluation du nombre des guéris en France tient aussi au fait que les autorités n'enregistrent que les malades guéris sortis de l'hôpital alors que dans d'autres pays on essaie de tenir compte aussi des malades restés à la maison et guéris hors de l'hôpital (7).
Toujours est-il que cette forte sous-estimation du nombre des guéris en France rend plus difficile une première sélection des candidats à la vaccination sur la base de leur statut immunologique. Celui-ci ne pourra être précisé que par un test sérologique.

Vaccination inutile

En jugeant que "il n'y a pas lieu de vacciner systématiquement les personnes déjà contaminées", la Haute Autorité de Santé (HAS) reconnaît que la vaccination serait inutile pour les anciens malades (8). Cette reconnaissance est un premier pas dans la bonne direction mais il faut tirer toutes les conséquences opérationnelles de l'inutilité de vacciner les anciens malades alors que les vaccins manquent tragiquement pour d'innombrables autres personnes beaucoup plus vulnérables, c'est-à-dire celles qui n'ont pas encore rencontré le coronavirus et n'ont développé aucune immunité. 

Recours provisoire à la demi-dose

Au Royaume Uni, pourtant bien plus avancé que la France dans la campagne de vaccination, la pénurie des vaccins et l'urgence de les administrer sont telles que les autorités envisagent sérieusement, pour chaque candidat à la vaccination, de retarder l'administration d'une deuxième dose, contrairement au protocole recommandé par le fabricant Pfizer/BioNTech. Cette approche repose sur le fait que la première dose confère déjà une protection relativement satisfaisante pendant un certain temps, et que ce répit doit être mis à profit pour administrer immédiatement la deuxième dose à une autre personne plus vulnérable. Celle-ci bénéficiera alors d'une protection relative mais jugée suffisante pendant un certain temps. Ce faisant, on pourra protéger plus de personnes tant bien que mal pendant un temps donné, en attendant l'arrivée de contingents supplémentaires de vaccins qui permettront d'administrer une deuxième dose à chaque personne afin de consolider et prolonger son immunité comme prévu dans le protocole initial (9).

Une approche sûre et rationnelle

Face aux anciens malades déjà immunisés il faut également définir une démarche sûre et rationnelle pour gérer la pénurie de vaccins dans cette course contre la montre pour sauver le maximum de vies humaines. 

Ne pas vacciner "inutilement" une personne déjà immunisée permet de réserver une dose du précieux vaccin à une personne beaucoup plus vulnérable et peut-être en danger de mort. 
Les autorités doivent identifier et recenser les anciens malades immunisés -- qui sont beaucoup plus nombreux qu'on ne le croit car leur nombre augmente aussi vite que celui des malades déclarés ou pas -- afin de leur conférer un statut identique à celui des personnes vaccinées. Ce sont ces personnes immunisées spontanément ou après vaccination qui arrêteront la chaîne des transmissions du coronavirus et remettront le monde en marche.

 

Sam Rainsy

Ajouter un commentaire

Commentaires

Il n'y a pas encore de commentaire.