Pourquoi la péninsule indochinoise est-elle épargnée par le Covid-19 ?

Publié le 13 mai 2020 à 15:49

 

La pandémie du COVID-19 continue à faire des ravages dans le monde entier avec, à ce jour, presque 300 000 morts au total. Mais le nombre de décès semble se concentrer en Europe occidentale et en Amérique du Nord, tandis qu’un grand nombre de pays situés dans d’autres zones géographiques semblent relativement épargnés.

Moins de 100 morts pour la péninsule

Parmi ces pays relativement épargnés on peut en particulier relever ceux de la péninsule indochinoise, notamment – d’Est en Ouest – le Vietnam, le Laos, le Cambodge, la Thaïlande et la Birmanie (ou Myanmar). Comme le montre le tableau ci-dessous, ces cinq pays réunis ont officiellement enregistré à ce jour moins de 100 morts, et, encore mieux, aucun décès pour trois d’entre eux: Vietnam, Laos et Cambodge. Ceci est d'autant plus remarquable pour le Cambodge que ce pays a maintenu jusqu'à ce jour des liaisons aériennes régulières avec la Chine (y compris Wuhan, le berceau de la pandémie) et qu'un million d'ouvriers cambodgiens vivent et travaillent dans des conditions de promiscuité qui auraient pu faire craindre une expansion catastrophique de la maladie.

0,8 mort par million d'habitant en Thaïlande

C’est en rapportant le nombre de décès par pays à la population totale du pays que le contraste entre les deux groupes de pays les plus faiblement touchés (en jaune dans le tableau) et les plus sévèrement frappés (en bleu) est encore plus saisissant. Ainsi, la Thaïlande n’a enregistré que 0,8 mort et la Birmanie 0,1 à comparer avec les plus de 200 à plus de 500 morts par million d’habitants enregistrés dans de nombreux pays d’Europe occidentale et d’Amérique du Nord.

Quatre raisons possibles peuvent être évoquées pour expliquer cette différence de taux de mortalité lié au COVID-19.

1) Le facteur climatique

La température ambiante semble être un élément important à considérer pour mesurer la facilité de propagation et la virulence du coronavirus. Celui-ci semble particulièrement contagieux et virulent quand la température se situe entre 10 et 15 degrés Celsius. Au début de la pandémie dans la région de Wuhan en Chine, la température n’excédait pas 15 degrés Celsius jusqu’en mars. Dans les régions tropicales et subtropicales les températures sont plutôt de l’ordre de 25 à 40 degrés Celsius , ce qui peut causer une certaine inhibition du coronavirus et réduire sa virulence. 

2) Le facteur économique et démographique

Dans les pays où le PIB par tête d’habitant est le plus élevé (Europe occidentale, Amérique du Nord, …) on relève les taux de mortalité les plus élevés. C’est dans ces pays riches que l’on constate aussi qu’il y a proportionnellement le plus grand nombre de personnes âgées (vieillissement avancé de la population) et obèses (alimentation trop riche, mode de vie sédentaire). Or le COVID-19 dans ses formes les plus graves frappe particulièrement les personnes âgées (ayant une immunité en baisse) et obèses (présentant un terrain inflammatoire associant d’autres maladies). 80% des décès dus au COVID-19 dans les pays occidentaux touchent des personnes de plus de 70 ans souffrant souvent de comorbidités. L'Australie et la Nouvelle Zélande sont des cas particuliers parce que ces pays sont isolés par l'océan et ont une densité démographique très faible.

3) Le facteur immunologique du paludisme

Les pays des zones tropicales et subtropicales comme ceux de la péninsule indochinoise où le paludisme sévit d’une façon endémique semblent moins affectés par le COVID-19 que les pays des zones tempérées (notamment dans l'hémisphère Nord) où le paludisme est totalement absent. Il semble que l'agent infectieux du paludisme, le parasite Plasmodium, et le coronavirus présentent des traits communs avec un génome à ARN (acide ribonucléique). Ce point commun pourrait conférer un début d'immunité au COVID-19 aux personnes ayant été impaludées. Des recherches sont en cours sur d’autres points communs possibles entre le COVID-19 et le paludisme. Un traitement en discussion contre le COVID-19 n’intègre-t-il pas la chloroquine, un vieux remède contre le paludisme?

4) Le facteur génétique de l’hémoglobine E

C’est un domaine où l’histoire, la géographie, l’archéologie, l’ethnologie, l’hématologie et la génétique se superposent pour mieux nous faire comprendre des problèmes santé publique.

Le médecin et savant français Jean Bernard (1907-2006), qui a été un fondateur de l’hématologie moderne et un grand expert de l’Asie du Sud-Est, a étudié l’histoire de l’Empire khmer et a remarqué que les descendants des peuples de cet empire à son apogée au 12ème-13ème siècle avaient (et ont jusqu’à maintenant) une "anomalie" sanguine représentée par la présence de l’hémoglobine E dans les globules rouges. Or cette hémoglobine E semble être une caractéristique génétique majeure de la race khmère dans la péninsule indochinoise.

Jean Bernard a remarqué que les limites historiques et géographiques de cet empire dont le contour sur la carte est représenté par la ligne reliant les anciens temples khmers les plus reculés, correspondent à peu près aux limites des zones où vivent jusqu’à aujourd’hui des populations porteuses d’une hémoglobine E. Ces populations, selon Jean Bernard, sont les descendants des anciens Khmers.

"La géographie de l’hémoglobine E et la géographie des monuments de l’art khmer sont à peu près superposables. Cette homologie est très remarquable. Les limites de l’ancien Empire khmer étaient jusqu’à présent définies par l’archéologie. Elles peuvent aujourd’hui être définies par l’hématologie. Les limites sont à peu près les mêmes."(1)

Mais le point qui nous intéresse ici est que cette hémoglobine E pourrait avoir conféré une certaine immunité contre le paludisme. C’est ce qui a permis aux anciens Khmers de survivre et de prospérer dans les immenses zones impaludées de la région. Des études scientifiques et épidémiologiques ont d’ailleurs indiqué que l’hémoglobine E confère une certaine "protection contre les formes sévères de la malaria." (2)

Ancien Empire Khmer

L’ancien Empire khmer recouvre le Cambodge d’aujourd’hui mais aussi une partie du Vietnam du Sud, du Laos, de la Thaïlande et de la Birmanie actuels (voir carte ci-dessus). Ces pays largement occupés par les descendants d’anciens Khmers ont bien résisté depuis longtemps au paludisme grâce à leur hémoglobine E. Cette même hémoglobine E pourrait les aider maintenant à relativement bien résister au COVID-19 du fait de certaines similarités entre les deux maladies.

 

Sam Rainsy

 

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